Qui d’autre que Jean-Baptiste Carpeaux ?
La sollicitation de Carpeaux par la famille impériale, auprès de l’empereur mourant, témoigne de leur relation privilégiée depuis dix ans. Grâce à l’entremise du diplomate Eugène d’Halwin de Piennes, rencontré à Rome en 1859 (1825-1911, nommé en 1863 chambellan de l’impératrice Eugénie), et de la princesse Mathilde (dont il réalisa le buste en 1862), Carpeaux fut introduit dans l’entourage impérial. En 1864, il devint le professeur de dessin et de modelage du Prince impérial, et participa à sa première série à Compiègne en novembre, occasion propice à la prise de nombreux croquis du couple impérial et de leur fils. En 1865, il travailla à la commande d’une statue en pied du Prince impérial : en choisissant de représenter l’enfant avec son chien de compagnie Néro, l’artiste sut mettre en scène un instant tendre, dénué de pompe, qui remporta tous les suffrages, à la fois du couple impérial et du public. Le buste de l’impératrice Eugénie de 1866, dont le plâtre original est conservé à la National Gallery de Dublin, connut un accueil plus mitigé et ne séduisit pas totalement l’impératrice même (une version en plâtre patiné est conservée au musée des Beaux-arts de Valenciennes, ville natale de l’artiste
À travers de nombreuses commandes (le Triomphe de Flore pour une façade du Louvre, la Danse pour l’Opéra, la fontaine des Quatre Parties du monde ou fontaine de l’Observatoire…), Carpeaux sut influer un souffle de vie audacieux à la pierre comme au marbre et au bronze.
La commande d’un buste de Napoléon III n’intervint qu’en 1871. L’empereur vivait alors en exil depuis mars 1871 en Angleterre, à Camden Place, Chislehurst. Également arrivé à Londres en mars en raison de la Commune parisienne, Carpeaux rendait visite à son ancien mécène. Rappelé en janvier 1873, Carpeaux arriva peu après la mort de l’Empereur et ne put prendre quelques derniers croquis de la dépouille impériale, la nuit, à la lueur de flambeaux tenus par des domestiques. Une version en plâtre patiné est conservé à Valenciennes.
Sur le côté droit (vue de face) du buste sont inscrits, sur trois lignes : « Chiselhurst [sic] / 13 janvier 1873 / JBte Carpeaux ». La date indique celle de la prise des croquis, le buste ayant été terminé en août 1874.
L’expression de la douleur
Les derniers mois de la vie de Napoléon III furent traversés par la douleur, il subit plusieurs interventions chirurgicales douloureuses visant à éliminer des calculs de la vessie. Carpeaux éclata les codes de dignité et d’autorité figées du buste à l’antique classique, pour révéler un Napoléon III dans toute son humanité d’homme souffrant : un buste nu sans accessoire, les chairs du visage affaissées, les sourcils froncés par une douloureuse inquiétude, le regard éprouvé. Un homme face à la souffrance et à la mort.
Est-ce parce qu’il était lui-même gravement malade que Carpeaux sut transcender son sujet ?
Certes, le sculpteur avait déjà travaillé l’expression de la souffrance, avec notamment une Mater dolorosa en 1870, (version acquise par le Clark Art Institute de Williamstown (Massachusetts, USA) en 2007 ; version en terre cuite au musée des Beaux-arts de Bordeaux, version en terre cuite à Valenciennes). Mais, alors que l’artiste travaillait au buste de Napoléon III, il se rapprochait de la fin de sa vie, souffrant terriblement d’un cancer de la vessie. En 1874, il réalisait ainsi plusieurs autoportraits, terribles échos de son propre crépuscule. Carpeaux mourut le 12 octobre 1875 à Courbevoie, hébergé dans un pavillon du château de Bécon par le prince George Babu Stirbei. Après avoir été déposée dans un caveau provisoire, sa dépouille fut finalement inhumée le 29 novembre au cimetière Saint-Roch de Valenciennes.
Un hommage plus important ?
Le musée municipal de Bucarest conserve une version de Napoléon III sur son lit de mort, qui, selon l’historienne Alison McQueen, pourrait être le témoignage de la volonté de Carpeaux de réaliser une œuvre plus importante, un mausolée à la mémoire de son bienfaiteur.
Irène Delage, 9 décembre 2022
Bibliographie
• Empress Eugénie and the Arts. Politics and Visual Culture in the Nineteenth Century, by Alison McQueen, Farnham, Ashgate, 2011, 348 p.
• The Empress Eugénie in England. Art, Architecture, Collecting, by Anthony Geraghty, London, The Burlington Press, 2022, 271 p.