Ce portrait de Jean Lannes (1769-1809), réalisé en 1834 par Julie-Louise Volpelière, est conservé au musée de l’Armée. C’est une copie inspirée d’un portrait fait par le baron Gérard et commandée à la peintre en prévision de la création du musée d’Histoire de France de Versailles voulu par Louis-Philippe. La même année 1834, Julie-Louise Volpelière, élève de Gioacchino Giuseppe Serangeli, exécute pour le compte du futur musée le portrait d’une autre grande figure de l’armée du Premier Empire : le maréchal Jourdan.
Surnommé « l’Ajax de la Grande Armée », Jean Lannes a été de toutes les luttes, de celles de la Révolution à la campagne d’Allemagne et Autriche de 1809 (lire sa biographie sur napoleon.org). Son décès dans sa quarante-et-unième année a encore un grand écho lorsque Julie-Louise Volpelière exécute son portrait posthume, plus de vingt ans après la mort soudaine du maréchal le 31 mai 1809.
Les artistes comme Julie-Louise Volpelière ou Pierre-Narcisse Guérin (qui a lui aussi représenté le héros) sont obligés de se fonder sur le seul grand portrait contemporain et connu du public du maréchal, exécuté par Jean-Charles Nicaise Perrin entre 1805 et 1810. Cet original a été commandé par Napoléon Ier pour la salle des maréchaux du palais des Tuileries à Paris et a été présenté au salon de 1810, année qui voit l’inhumation triomphale du maréchal au Panthéon.
« Une perte qui m’a été surtout sensible est celle du duc de Montebello qui a eu la jambe emportée d’un
boulet ; vous savez l’amitié que je porte à ce maréchal ; cependant il est hors de danger » (Correspondance générale, lettre n°21060), écrit Napoléon à son frère Louis le 24 mai 1809.
Deux jours auparavant, un boulet a en effet arraché la jambe de Lannes lors de la bataille d’Essling. Mais l’Empereur a tort, « l’Ajax de la Grande Armée » est tout sauf tiré d’affaire : il décède une semaine après cette lettre, malgré les soins de Dominique-Jean Larrey, le chirurgien de la Grande Armée, des médecins de la Maison de l’Empereur et du docteur Johann Peter Frank, le plus célèbre médecin allemand de l’époque.
En apprenant la nouvelle, Napoléon écrit depuis Ebersdorf à son ministre de la Police générale, Fouché, qu’il est « très peiné » (Correspondance générale, lettre n°21098) ; il le répète le même jour à Joséphine (Correspondance générale, lettre n°21105) qu’il enjoint à consoler la duchesse de Montebello, la maréchale Lannes. Dans la foulée, il écrit à cette dernière : « Ma cousine, le maréchal est mort ce matin des blessures qu’il a reçues sur le champ d’honneur. Ma peine égale la vôtre. Je perds le général le plus distingué de mes armées, mon compagnon d’armes depuis seize ans, celui que je considérais comme mon meilleur ami. Sa famille et ses enfants auront toujours des droits particuliers à ma protection. C’est pour vous en donner l’assurance que j’ai voulu vous écrire cette lettre, car je sens que rien ne peut alléger la juste douleur que vous éprouverez (Correspondance générale, lettre n°21106). »
Cette lettre montre l’attachement personnel que Napoléon éprouve pour Jean Lannes. Il n’est pas le seul : Lannes reste un des représentants les plus courageux et les plus fidèles à l’Empereur dans l’imaginaire populaire lié à la Grande Armée. Outre ses qualités militaires et sa bravoure, sa jeunesse lors de sa mort contribue à en faire un héros, en particulier à cause de son agonie après l’une des batailles les plus célèbres du Premier Empire : celle d’Essling, en Autriche, près de Vienne.
Politiquement, la communication de l’Empereur a tout intérêt à exalter le sens du sacrifice glorieux de cette grande figure pour devancer la démoralisation que la nouvelle d’un tel décès pourrait avoir sur les troupes et la population civile. Ainsi naît rapidement la narration de la mort de Lannes.
Pierre-Narcisse Guérin pousse en 1835 la légende de sa fin héroïque jusqu’à réinventer de toutes pièces son amputation de la jambe et sa mort : il les met en scène dans les bras de l’Empereur, sur le champ de la bataille.
Cette représentation mythique d’un adieu entre Lannes et Napoléon « dans le feu de l’action » n’est pas sans rappeler celle qui circule après la mort d’autres grands officiers de la Grande Armée. Elle fait écho à la mort du général Desaix, survenue après un tir dans la poitrine à la bataille de Marengo en 1800 et représentée en 1806 par Jean Broc, ou au décès du général Duroc lors de la bataille de Bautzen en 1813 (vidéo) dans les mêmes circonstances que Lannes, quatre ans auparavant.
La revisitation de la fin de Lannes ne s’arrête pas à l’image que la propagande pro-impériale propose ou à la vision qu’on s’en fait à la période romantique, dans les années 1830. Comme pour le « sultan juste » Desaix ou le grand-maréchal du Palais Duroc circulent peu de temps après la mort de Lannes des récits de dernières paroles et de derniers dialogues, plus ou moins apocryphes.
On rapporte notamment certains derniers échanges entre le mourant, alité et fiévreux, et Napoléon, à son chevet dans la banlieue de Vienne. Lannes aurait reproché à l’Empereur son ambition insatiable et aurait annoncé la chute de l’Empire… Ces propos font toujours débat chez les spécialistes d’Histoire napoléonienne.
On retiendra que le courage du maréchal, lui, fait l’unanimité et le hisse au statut de figure emblématique de l’armée de Napoléon.
Marie de Bruchard, mai 2019
Pour en savoir plus :
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- sur le maréchal Lannes, sa biographie ;
- sur la bataille d’Essling, un dossier thématique
- consultez le dossier thématique « Vivre et mourir dans la Grande Armée » (2023)