Chronologie commentée : quelques éléments sur le droit du travail en France, du Consulat au Second Empire

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De la Révolution française au Second Empire, le droit du travail en France évolue progressivement, passant d’une absence totale de protection pour les travailleurs à une reconnaissance progressive de leurs droits.

Au début de la Révolution française, les ouvriers étaient principalement des artisans qui commençaient à travailler dans les usines naissantes. Il y avait environ 1 à 1,5 million d’ouvriers en France. Avec l’essor de l’industrialisation, le nombre d’ouvriers a considérablement augmenté, atteignant environ 2 millions d’ouvriers en 1830-1840. Ils se sont concentrés dans des secteurs comme l’industrie textile, la métallurgie, les mines et la construction.

De nouveaux mouvements ouvriers et syndicaux ont commencé à lutter pour l’amélioration des conditions de travail et des droits des ouvriers. C’est aussi au cours de la première moitié du XIXe siècle que s’est formée une véritable « classe ouvrière » avec son identité propre, concentrant 3 millions de personnes en 1840-1850. À la fin du Second Empire, on estime que le nombre d’ouvriers en France était d’environ 4 à 4,5 millions. Il est important de noter que pendant cette période, la population totale de la France est passée d’environ 28 millions en 1789 à 38 millions en 1870. Ainsi, non seulement le nombre d’ouvriers a augmenté, mais leur proportion dans la population totale s’est également accrue, passant d’environ 3,6% en 1789 à 10,5% en 1870.

La fin du XIXe siècle a été marquée par une diversification des métiers ouvriers et l’apparition de lois sur le travail : les premières lois sur le travail, comme la loi Le Chapelier, existaient depuis la fin du XVIIIe siècle mais n’étaient pas protectrices. Les lois de la fin du XIXe siècle ont notamment limité le temps de travail et interdit le travail des enfants. Les syndicats se sont renforcés, donnant plus de pouvoir aux ouvriers pour défendre leurs droits. L’urbanisation croissante a conduit au développement de quartiers ouvriers dans les villes, contribuant à la formation d’une culture ouvrière spécifique.

Les idéaux révolutionnaires de liberté et d’égalité ont inspiré les premières revendications ouvrières, tandis que les régimes successifs au cours du XIXe siècle ont tenté de concilier ces aspirations avec les intérêts des employeurs et la stabilité sociale. Cet article examine chronologiquement les principales étapes de cette évolution, mettant en lumière les lois clés, les mouvements sociaux et les changements politiques qui ont influencé les conditions de travail, les droits des ouvriers et la structure des relations professionnelles. À travers ce parcours historique, nous verrons comment les idéaux révolutionnaires, les impératifs économiques et les luttes sociales ont interagi pour créer le cadre initial du droit du travail en France.

Chronologie commentée : quelques éléments sur le droit du travail en France, du Consulat au Second Empire

Janet, Gustave, Fête de la Concorde Ouvrières des Ateliers nationaux, 1848
© BnF Gallica

Voir l’image en grand format sur le site de la BnF

Mémo des régimes politiques de la France à partir de 1789 avant d’entrer dans la chronologie :

• Directoire (26 octobre 1795 – 9 novembre 1799)
• Consulat (13 décembre 1799 – 2 août 1802)
• Consulat à vie (voté le 12 mai 1802)
• Premier Empire (18 mai 1804 – 4 avril 1814)
• Première Restauration (6 avril 1814 – 20 mars 1815)
• Cent-Jours (20 mars 1815 – 7 juillet 1815)
• Seconde Restauration (8 juillet 1815 – 2 août 1830)
• Monarchie de Juillet (9 août 1830 – 24 février 1848)
• Deuxième République (24 février 1848 – 2 décembre 1852)
• Second Empire (2 décembre 1852 – 4 septembre 1870)

Deux premières réformes pendant la période de la Révolution française (1791) 

2 mars 1791 : Le décret d’Allarde visait à supprimer les corporations artisanales, les maîtrises et les jurandes (lire le texte complet ici). Ces structures étaient des associations de métiers qui régissaient l’accès aux différentes professions ainsi que le fonctionnement des artisans au sein de leur corporation. Ces organisations étaient vues par les révolutionnaires comme des obstacles majeurs à la liberté économique et à la libre concurrence entre les entreprises. En effet, les corporations contrôlaient étroitement l’entrée dans les métiers, fixaient les tarifs, les conditions de production et la qualité des produits, limitant ainsi la possibilité pour de nouveaux acteurs de s’installer sur le marché. Le décret d’Allarde s’inscrivait dans une volonté plus large de réformer profondément l’économie française, en supprimant les privilèges corporatifs et en libérant les initiatives individuelles. Cette mesure s’inspirait des idées des Lumières prônant la liberté du commerce et de l’industrie, considérées comme plus propices à l’innovation et à la prospérité économique du royaume. Ainsi, en abolissant ces structures corporatives jugées archaïques, le décret d’Allarde entendait favoriser l’émergence d’une économie plus dynamique, ouverte à la concurrence et à l’esprit d’entreprise, conformément aux principes économiques défendus par les révolutionnaires français.  

14 juin 1791 : quelques mois après le décret d’Allarde, la loi Le Chapelier est adoptée, interdisant les groupements professionnels. Cette loi vise à supprimer toutes les corporations, et a en réalité pour but principal de freiner l’offensive ouvrière et la mobilisation démocratique. 

Des mesures fondamentales pendant la période consulaire 

En accédant au pouvoir en 1799, Napoléon Bonaparte déclare que la Révolution est terminée, mais ses principes restent ancrés. Désireux de stabiliser et de moderniser la France, le Premier Consul met en place des institutions et des réformes nommées les « masses de granit ». Ces éléments essentiels, dont la plupart subsistent encore aujourd’hui, se composent d’organes étatiques, de structures économiques, de codes juridiques et d’initiatives sociales. Tous visent à rétablir un lien harmonieux entre l’État et la société, après les bouleversements de la Révolution française, comme par exemple :  

13 décembre 1799 : création du Conseil d’État. Il rédige les projets de loi et joue un rôle de conseiller auprès du chef de l’État, qui le préside parfois lui-même. Les conseillers d’État fournissent, sous le Consulat et l’Empire, un travail considérable en participant à l’élaboration des principales réformes administratives. C’est le Premier Consul, puis l’Empereur, qui nomme et révoque les conseillers d’État, dont le nombre s’élève à environ cinquante. 

12 avril 1803 : Sous le Consulat, des mesures sont prises pour contrôler la main-d’œuvre et en 1803 le livret ouvrier est instauré. Ce document devient un outil de contrôle social, limitant la mobilité des travailleurs et renforçant leur subordination aux employeurs. Il jouait également un rôle de passeport intérieur, permettant aux autorités de surveiller les mouvements de la population ouvrière. Un ouvrier sans livret pouvait être considéré comme vagabond et risquait l’emprisonnement. De plus, le livret renforçait le pouvoir des employeurs, car un ouvrier ne pouvait pas quitter son emploi sans la signature de son patron sur le livret.

Page du Livret ouvrier d’Auguste Breuil (1866-1867) 

Consolidation du contrôle sous l’Empire (1804-1814)

• 21 mars 1804 : parmi ses dispositions,le Code civil renforce la position des employeurs en stipulant que « le maître est cru sur son affirmation » en cas de litige sur les salaires. Le Code civil fait également partie des réformes nommées « les masses de granit ».

Code civil des Français, 1804 © Fondation Napoléon
Code civil des Français, 1804 © Fondation Napoléon

18 mars 1806 : malgré une forte volonté de contrôle, l’idée d’une justice de paix au travail est mise en place, avec la création des conseils de prud’hommes en 1806. Les conseils des prud’hommes sont des juridictions spécialisées, chargées de régler les litiges individuels entre employeurs et salariés liés au contrat de travail. Ils jouent un rôle essentiel dans la protection des droits des travailleurs et la médiation des conflits du travail. Ces instances paritaires, composées de représentants des employeurs et des salariés, offrent un cadre privilégié pour résoudre les différends de manière équitable et rapide. Leurs compétences s’étendent à une large gamme de problématiques, allant du licenciement abusif au non-respect des conditions de travail, en passant par les litiges salariaux. Le processus commence par une tentative de conciliation, au cours de laquelle les conseillers prud’homaux s’efforcent de trouver un terrain d’entente entre les parties. Leurs efforts visent à éviter une procédure judiciaire formelle, qui peut s’avérer coûteuse et chronophage pour tous les protagonistes. Cependant, lorsque la conciliation échoue, les conseils des prud’hommes endossent un rôle de tribunal. Ils examinent alors les arguments et les preuves apportés par chaque partie, avant de rendre une décision qui s’impose aux employeurs comme aux salariés. Leurs jugements peuvent ainsi définir des indemnités, ordonner la réintégration d’un employé licencié ou encore contraindre l’employeur à respecter ses obligations contractuelles. Cette dualité de fonction – conciliation et jugement – fait des conseils des prud’hommes des institutions essentielles pour assurer l’équilibre des relations de travail et la protection des droits sociaux en France.  

22 février 1810promulgation du Code pénal qui renforce les dispositions répressives contre les coalitions ouvrières. 

Bien que le régime napoléonien ait renforcé certains aspects du contrôle sur les travailleurs, il a également introduit des innovations importantes comme les conseils de prud’hommes. Cependant, la chute de l’Empire allait ouvrir une nouvelle période de tensions sociales. 

Première page du Code pénal de 1810 © Fondation Napoléon
Première page du Code pénal de 1810 © Fondation Napoléon

 

La Restauration et la Monarchie de Juillet (1814-1830)

Pendant la Restauration, les tensions sociales persistent. La fin de l’Empire napoléonien et la crise économique et sociale qui s’ensuit poussent les ouvriers à avancer des revendications salariales. Certains s’affranchissent même de l’obligation du livret ouvrier, montrant ainsi une résistance aux mesures de contrôle mises en place sous le régime précédent. 

Cette période voit l’émergence progressive de préoccupations sociales, qui se manifesteront plus concrètement sous la Monarchie de Juillet. Bien que la première loi significative sur le travail des enfants ne soit adoptée qu’en mars 1841, connue sous le nom de loi Montalembert et qui visait à réglementer le travail des enfants dans les manufactures, usines et ateliers, les discussions et les réflexions qui ont mené à cette législation ont commencé à prendre forme durant cette période de transition. 

Les principaux points de cette loi étaient l’âge minimum d’embauche, fixé à 8 ans pour le travail de jour et à 13 ans pour le travail de nuit, la durée de travail des enfants de 8 à 12 ans fixée à 8h par jour, et 12h par jour pour ceux de 12 à 16 ans, et l’éducation, puisque la loi exigeait que les enfants de moins de 12 ans reçoivent une instruction scolaire au minimum de deux heures par jour. 

La Deuxième République et les premières avancées sociales (1848-1852)

La période allant de la Deuxième République (1848-1852) à la fin du Second Empire (1852-1870) marque une étape cruciale dans l’évolution du droit du travail en France. 

Louis-Napoléon Bonaparte, d’abord comme président de la Deuxième République puis comme Empereur Napoléon III, a affiché un engagement envers les classes ouvrières, bien que ses motivations fussent souvent politiques. Il a promis et partiellement mis en œuvre des mesures visant à améliorer les conditions de travail et de vie des ouvriers. Parmi ses actions notables figurent la réduction du temps de travail, la légalisation des sociétés de secours mutuels, l’encouragement à la construction de logements ouvriers et la reconnaissance du droit de grève en 1864.

27 février 1848 : La Fête de la Concorde Ouvrières des Ateliers nationaux s’est tenue après la révolution de février 1848, lorsque le gouvernement provisoire cherchait à fournir du travail aux chômeurs parisiens. Des ateliers nationaux sont créés, destinés à employer les ouvriers et artisans des grandes villes en chômage forcé. L’État a directement pris en charge l’organisation, le financement et le paiement du travail. Ils ont été ouverts le 27 février 1848 et fermés le 21 juin 1848. 

28 février 1848 :  La Seconde République débute avec la création de la Commission du Luxembourg, chargée d’examiner les conditions de travail et de proposer des améliorations. Cette initiative témoigne d’une volonté politique de s’attaquer aux problèmes sociaux de l’époque. 

14 avril 1850 : Une loi sur l’assainissement des logements insalubres est promulguée. Cette mesure de santé publique vise à améliorer les conditions de vie des ouvriers, reconnaissant ainsi le lien entre logement et bien-être des travailleurs. 

18 juin 1850 :création d’une Caisse nationale des retraites, posant les bases d’un système de protection sociale pour les travailleurs âgés. 

22 janvier 1851 : Une loi instaure une assistance judiciaire gratuite pour les plus pauvres. Cette mesure permet aux ouvriers d’accéder plus facilement à la justice, réduisant ainsi les inégalités face au droit. 

22 février 1851 : Une loi encadre les contrats d’apprentissage des enfants dans les usines, manufactures et ateliers, marquant ainsi une étape importante dans la régulation du travail des jeunes en France.

Cette époque voit naître les premières avancées sociales significatives et pose les bases du droit du travail moderne.

Vers une codification du droit du travail et la volonté de mettre en place une réelle protection sociale sous le Second Empire (1852-1870)

Auteur en 1844 de Extinction du paupérisme (texte à lire en ligne sur BnF/Gallica ; ou une édition moderne commentée), l’Empereur manifeste une volonté réelle d’améliorer les conditions de vie des ouvriers et de leurs familles.

1er juin 1853 : La loi du 1er juin 1853 réforme le conseil des prud’hommes. Cette instance, créée en 1806, est chargée de juger les contestations entre patrons et ouvriers. La réforme permet une représentation plus équitable des deux parties.

12 juin 1861 : La loi du 12 juin 1861 étend le bénéfice de la Caisse nationale des retraites aux étrangers témoignant d’une volonté d’inclusion sociale. 

25 mai 1864 : Reconnaissance du droit de coalition par une réforme majeure ouvrant la voie à la légalisation du droit de grève. Cette avancée permet aux ouvriers de se regrouper pour défendre leurs intérêts.

L’Internationale ouvrière, aussi connue sous le nom de Première Internationale, créée en 1864 à Londres, avait pour objectif d’unir les travailleurs de différents pays afin de défendre leurs droits, améliorer leurs conditions de travail et promouvoir la justice sociale. Cette création fait suite à la participation d’une délégation d’ouvriers français à l’Exposition universelle de Londres en 1862, autorisée par Napoléon III suite à la demande des ouvriers eux-mêmes. Lors de cette Exposition, les délégués français ont été impressionnés par les syndicats britanniques, beaucoup plus développés et influents qu’en France à l’époque. Ils ont constaté que l’organisation collective des travailleurs permettait d’obtenir de meilleures conditions de travail et de salaire.

Ces expériences ont alimenté les réflexions du mouvement ouvrier français. En parallèle, en 1864, Henri Tolain, ouvrier ciseleur parisien, a rédigé le « Manifeste des 60 », un document fondamental pour le mouvement ouvrier français. Ce manifeste, signé par 60 ouvriers, revendiquait le droit des travailleurs à s’organiser politiquement et à être représentés dans les institutions politiques. Il a joué un rôle crucial dans l’émergence d’une conscience de classe ouvrière en France.

Les rencontres et les discussions entre délégués de différents pays lors de l’Exposition de Londres ont permis de créer des liens et d’échanger sur les expériences et les revendications communes. Ces échanges, combinés aux développements du mouvement ouvrier en France, ont contribué à préparer la création, deux ans plus tard, de l’Internationale des Ouvriers.

De retour en France, ces ouvriers partagèrent leurs observations et leurs réflexions, contribuant ainsi à la rédaction du Manifeste des 60. Ce document fondamental pour le mouvement ouvrier français.

Les rencontres et les discussions entre délégués de différents pays ont permis de créer des liens et d’échanger sur les expériences et les revendications communes. Cet événement a contribué à préparer la création, deux ans plus tard, de l’Internationale des Ouvriers.

1er avril 1867  : Développement de la protection sociale, une loi sur les sociétés de secours mutuel est adoptée, encourageant la création de caisses de prévoyance pour les travailleurs.

1868 : Renforcement des droits des travailleurs. Plusieurs lois importantes sont promulguées cette année-là :

• La loi du 2 août 1868 abroge l’article 1781 du Code Civil, et établit l’égalité de valeur des témoignages entre employés et employeurs.
• La loi du 11 juillet 1868 institue les premières Caisses d’assurances en cas d’accident ou de décès pour tous les travailleurs.
• La loi du 6 juin 1868 octroie la liberté de réunion, facilitant l’organisation syndicale.

Ces lois marquent un tournant décisif dans la reconnaissance des droits des travailleurs et la structuration du mouvement ouvrier.

1869-1870 : La fin du Second Empire voit la création des premières Bourses du Travail, d’abord à Rouen et Paris en 1869, puis à Lyon et Marseille en 1870. Ces structures, ainsi que les Chambres syndicales, constituent les fondements du syndicalisme français.

Conclusion

La période allant de la Révolution française au Second Empire est marquée par une évolution complexe du droit du travail. Un passage s’opère entre la volonté initiale de libérer le travail des contraintes corporatistes et la mise en place progressive d’un cadre légal visant à contrôler la main-d’œuvre, tout en introduisant certaines protections. La période allant de la Deuxième République à la fin du Second Empire a été marquée par des avancées sociales significatives. La reconnaissance du droit de grève, l’amélioration des conditions de logement, la création des premières formes de protection sociale et l’émergence du syndicalisme ont posé les bases du droit du travail moderne en France. Ces réformes, bien que parfois limitées, ont ouvert la voie à une meilleure protection des travailleurs et à une plus grande justice sociale, préparant ainsi le terrain pour les développements futurs du droit du travail au XXe siècle.

Bibliographie

• Maurizio Gribaudi, Paris ville ouvrière. Une histoire occultée 1789-1848, La Découverte, Paris, 2014
• Samuel Guicheteau, Les Ouvriers en France 1700-1835, Armand Colin, Paris, 2014
• Christelle Spiry, La Politique sociale sous la Deuxième République et le Second Empire, Mémoire de Diplôme supérieur d’Etudes sociales, Université de Nancy, 1998

Pour aller plus loin

Napoléon III et les ouvriers – Série Nap III / 3 min (youtube.com)
Napoléon III et la question du logement social
Le socialisme de Napoléon III

Claudia Bonnafoux, web-éditrice (janvier 2025)

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