Le rôle du chambellan
Six grands officiers civils de la Couronne sont à la tête des « services particuliers » de la Maison de l’Empereur, assistés dans leurs fonctions par d’autres officiers et un personnel nombreux. Parmi eux se trouve le grand chambellan, aidé par les premiers chambellans – le palais des Tuileries en comptera jusqu’à soixante-cinq. Comme son nom l’indique, le grand chambellan (camerarius en latin vient de cama, le lit) « est le chef de tout le service de la chambre. Il est l’ordonnateur général de toutes les dépenses de ce service », comme expliqué dans l’Étiquette du palais impérial. Il est à la tête de quatre grands services : la garde-robe, le cabinet, le service d’honneur et les spectacles et divertissements. Son rôle est bien sûr protocolaire, mais il doit répondre à quelques missions d’importance. Il dirige les cérémonies de cour, préside aux levers et aux couchers de l’empereur, réglemente l’entrée de ses appartements et de ses audiences, l’accompagne dans ses déplacements, régit les festivités au palais et anime la vie à la cour impériale. L’une de ses principales missions est de veiller au respect de la tranquillité de Napoléon. En effet, comme cela est rappelé à plusieurs reprises dans l’Étiquette, personne ne peut se présenter devant l’empereur sans s’être adressé aux chambellans. Malgré cette proximité avec Napoléon, aucun chambellan n’a accès à sa chambre. Parmi ceux qui remplissent la charge de grand chambellan, le plus célèbre est Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838) qui s’acquitte de cette fonction du début de l’Empire jusqu’au 28 janvier 1809.
L’insigne de la fonction : la clef du salon du souverain
Figures parmi les plus marquantes de la cour impériale, ils portent tous un habit en velours écarlate et aux borderies d’argent, acheté à leurs frais. En revanche, ils reçoivent, au moment de leur nomination, l’insigne de leur fonction : une clef en vermeil ou en bronze doré. Véritable présent de la part de Napoléon, les clefs sont payées sur sa propre cassette. Grâce à l’agrafe qui se trouve à l’arrière de la clef, les chambellans la portent accrochée à la poche droite de leur habit. Napoléon, dans une lettre écrite le 26 mars 1812, précise au général Duroc, que « tous [ses] chambellans qui seraient officiers d’ordonnance ou qui auraient à l’armée des grades inférieurs au grade de général ne pourront porter la clef de chambellan qu’avec l’habit de chambellan ou l’habit bourgeois, mais non avec l’habit militaire ». Cette clef n’ouvre symboliquement qu’une seule porte, celle du salon de l’empereur. Toutes réalisées sur le même modèle, les plus précieuses proviennent de l’atelier du maître orfèvre Martin-Guillaume Biennais (1764-1843). L’anneau ovale est à chaque fois orné et ciselé d’une guirlande de feuilles de chêne et de laurier enrubannées, et surmonté d’une couronne. Au centre, découpé à jour, l’aigle impérial aux ailes déployées tient en ses griffes les foudres. Il repose sur un écu rainuré au chiffre ou au monogramme du souverain, « N » pour l’empereur. La tige de la clef est ronde et décorée au milieu par un chapelet de feuille d’eau. Certaines clefs peuvent également être gravées de deux abeilles sur une olive. En revanche, à l’inverse des clefs classiques, elles sont démunies de panneton et se terminent par une boule. Enfin, au niveau de l’agrafe, à l’arrière de l’anneau, elles sont ornées d’un nœud en tissu vert, souvent en lin, rehaussé d’une passementerie dorée et argentée, notamment de doubles glands.
Comme à son habitude, Napoléon diffuse un modèle auprès des autres souverains de l’Empire. Ainsi, l’impératrice, les princes et les princesses, mais également les souverains ont leurs propres Maisons. Leur étiquette est souvent calquée sur celle de l’empereur, il est donc normal d’y retrouver la fonction de chambellan. Des clefs similaires leur sont aussi distribuées. Il est possible d’identifier le souverain concerné grâce au monogramme placé sur l’écu sous l’aigle. Parmi les clefs conservées dans les collections de la Fondation Napoléon, on en identifie une ayant appartenu à la Maison d’Eugène de Beauharnais (1781-1824), en tant que vice-roi d’Italie, grâce au chiffre « E ». Le monogramme « J N », en référence à Joseph Napoléon (1768-1844), le frère aîné de Napoléon qui règne en Espagne de 1808 à 1813. Par ailleurs, l’une des clefs présente une forme différente : l’anneau est ciselé de feuillages, orné au centre, découpé à jour, du chiffre « J M » sous couronne. Celle-ci correspond à celles confiées aux chambellans de la cour de Joachim Murat (1767-1815), beau-frère de Napoléon et roi de Naples. De plus, elle est composée d’un panneton. Cette clef se détache du modèle de Napoléon. Enfin, une clef au chiffre de l’empereur, fait directement référence à Napoléon en tant que roi d’Italie grâce à un détail ciselé sur l’aigle de l’anneau. On distingue la couronne de fer des rois lombards sur la panse de l’oiseau.
Sous le Premier Empire, plus de cent-dix chambellans ont été nommés, c’est donc autant de clefs de distribuées. En 1815, malgré son exil à Sainte-Hélène, Napoléon souhaite conserver une certaine étiquette. Un Règlement du service de Sainte-Hélène est rédigé lors de sa captivité. La Maison est réorganisée et adaptée à la petite cour qui le suit dans l’hémisphère sud. Un seul grand officier, le général Henri-Gatien Bertrand (1773-1844), l’accompagne et devient le grand-maréchal du palais. Il endosse certaines prérogatives du grand chambellan, notamment en ce qui concerne l’accès au captif. La charge de chambellan revient, elle, à Charles-Tristan de Montholon (1783-1853) qui veille à la tenue de la Maison.
Élodie Lefort, août 2021
Élodie Lefort est responsable des collections de la Fondation Napoléon.
► Détail des objets
Atelier de Martin-Guillaume Biennais (1764-1843)
Clef de chambellan au chiffre du prince Eugène, vice-roi d’Italie
Bronze doré
INV 1120, Paris, Fondation Napoléon
© Patrice Maurin-Berthier / Fondation Napoléon
Clef de chambellan au monogramme de Joseph Napoléon, roi d’Espagne et des Indes
Argent doré, nœud en lin vert et jaune avec fils d’argent, glands en fils d’or et d’argent
INV 1125, Paris, Fondation Napoléon
© Patrice Maurin-Berthier / Fondation Napoléon
Clef de chambellan au monogramme de Joachim Murat
Bronze doré
INV 1144, Paris, Fondation Napoléon
© Patrice Maurin-Berthier / Fondation Napoléon
Clef de chambellan au chiffre de Napoléon, roi d’Italie
Bronze doré, nœud en lin vert et jaune et fils d’argent et d’or
INV 1119, Paris, Fondation Napoléon
© Patrice Maurin-Berthier / Fondation Napoléon
Clef de chambellan au chiffre de Napoléon Ier
Bronze doré, nœud en ruban vert galonné de fils d’or
INV 1143, Paris, Fondation Napoléon
© Patrice Maurin-Berthier / Fondation Napoléon
► Ouvrage
Étiquette du palais impérial aux armes de Napoléon Ier. Paris, de l’Imprimerie Impériale, 1808.
Maroquin brun
B 5337, Paris, Fondation Napoléon
© Thomas Hennocque / Fondation Napoléon