Le congrès de Paris organisé en février 1856 à l’issue de la défaite russe dans la guerre de Crimée, rassemble la France, l’Autriche, le Piémont, la Turquie, la Prusse, la Russie et l’Angleterre, afin de régler les questions diplomatiques et géopolitiques en Europe. Dans ces circonstances, la France de Napoléon III (1808-1873) redevient une force diplomatique incontournable, qui peut même imposer d’aborder des questions comme celle de l’unité italienne aux représentants autrichiens.
Mais, dans les années 1860, une série de crises politiques et la montée en puissance politique et économique de la Prusse, conduite par le roi Guillaume Ier (1797-1888) et le ministre des Affaires étrangères et Chancelier confédéral (de la Confédération de l’Allemagne du Nord, à partir de 1867) Otto von Bismarck (1815-1898), vont considérablement fragiliser l’Empire français, jusqu’à mener à un conflit frontal entre les deux pays.
La montée en puissance de la Prusse
1862-1863 > Les insurrections polonaises mettent en exergue la connivence entre la Prusse et la Russie contre la Grande-Bretagne, et dans une moindre mesure contre la France, tous états tutélaires de l’entité polonaise depuis le traité de Vienne de 1815. Napoléon III reste mesuré tandis que la Russie, avec le concours de la Prusse, réprime sévèrement ces soulèvements d’une partie des populations autochtones. ► En savoir +
Janvier-octobre 1864 > La guerre des Duchés oppose l’Autriche et la Prusse contre le Danemark. Première utilisation par les Prussiens des canons Krupp et des fusils Dreyse. Avec le traité de Vienne du 30 octobre 1864, puis la convention de Gastein du 14 août 1865, les deux duchés de Schleswig et de Holstein, dont la population est majoritairement allemande, sont placés sous condominium (le premier est administré par la Prusse, le second par l’Autriche), le duché de Lauenbourg est annexé à la Prusse. ► En savoir +
1865 > Entrevue de Biarritz. Anticipant un conflit armé avec l’Autriche, Bismarck rencontre Napoléon III à Biarritz pour sonder l’Empereur des Français mais ce dernier ne s’engage pas. ► En savoir +
1866 > Guerre austro-prussienne
Forte de son rapprochement avec la Russie, et de la signature d’un traité secret avec l’Italie (6 avril 1866), la Prusse engage le conflit contre l’Autriche de l’empereur François-Joseph Ier (1830-1916). S’opposant à la gestion autrichienne du Holstein, la Prusse envahit le territoire le 9 juin. Après de premières victoires, l’Autriche est défaite le 3 juillet à Sadowa, en Bohême, près de la ville de Königgrätz.
- 5 juillet > Napoléon III hésite sur la position diplomatique de la France. Dans un premier temps, il suit le ministre des Affaires étrangères Drouyn de Lhuys (1805-1881), favorable à un soutien armé envers l’Autriche pour peser sur l’issue de la guerre. Mais dans la soirée, l’Empereur se laisse convaincre par le ministre d’État Eugène Rouher (1814-1884) et le ministre de l’Intérieur, le marquis Charles de La Valette (1806-1881), pour proposer une médiation et ne pas risquer de heurter l’opinion publique prussienne.
- 26 juillet > Pourparlers de paix menés avec Napoléon III.
- 23 août > Traité de Prague. L’Autriche verse à la Prusse une indemnité de 30 millions de florins et accepte l’annexion par la Prusse de la nouvelle province de Schleswig-Holstein, de la Hesse-Cassel, du duché de Nassau et de la ville libre de Francfort ; la Prusse prend le contrôle indirect d’autres territoires en organisant, sur les cendres de la Confédération germanique, la Confédération de l’Allemagne du Nord (regroupant les pays situés au nord du Main) : l’Autriche a perdu la direction politique de l’Allemagne et va tourner son intérêt vers l’espace danubien (signature du compromis austro-hongrois le 18 juin 1867). Les États du sud de l’Allemagne, le Grand-duché de Hesse-Darmstadt, le Grand-duché de Bade, le Royaume de Wurtemberg et le Royaume de Bavière, deviennent indépendants, mais sont étroitement liés économiquement à leurs voisins du Nord.
- Octobre > Le royaume de Hanovre est annexé par la Prusse. La Vénétie est réunie à l’Italie avec le traité de Vienne (3 octobre).
En deux ans, la Prusse gagne 73 000 km2 et 4,3 millions d’habitants, passant de 279 000 km2 et 19,2 millions d’habitants à 352 000 km2 et 23,5 millions d’habitants. La France a alors une superficie de 551 000 km2, et une population de plus de 37,3 millions de personnes (37,3 millions en 1861).
Trois crises européennes et internationales
1867 > Crise luxembourgeoise, en pleine année d’Exposition universelle à Paris (avril-octobre)
Lors du Congrès de Vienne de 1815, le grand-duché du Luxembourg revient, à titre personnel, au roi des Pays-Bas qui décide d’administrer ce territoire. Il est par ailleurs membre de la Confédération germanique, et de l’Union douanière allemande organisée par la Prusse (Zollverein). En mars 1867, Guillaume III des Pays-Bas (1817-1890) accepte l’offre d’achat de Napoléon III mais en la subordonnant à l’acceptation de la Prusse. Pour le roi de Prusse Guillaume Ier, la réalisation de cette vente serait un casus belli des Français. À dessein, Bismarck rend public le projet français, provoquant diverses manifestations violentes des opinions publiques allemande, luxembourgeoise et française. En pleine année d’exposition universelle de Paris, Napoléon III cherche l’apaisement avec la signature du traité de Londres le 11 mai 1867, la France abandonne tout projet d’acquisition, le Luxembourg devient un état neutre, sous la souveraineté des Pays-Bas, les troupes prussiennes doivent quitter le territoire.
1867 > Échec de la campagne du Mexique (1861-1867), marqué par l’exécution de l’empereur Maximilien Ier le 19 juin 1867.
Poussé par Napoléon III, l’archiduc d’Autriche Maximilien de Habsbourg (1832-1867), frère cadet de l’empereur d’Autriche, accepte la couronne en 1864. L’Empereur des Français espère créer un royaume catholique favorable à la France en contre-poids des puissants États-Unis américains protestants. Soutenues par les Espagnols et les Britanniques entre 1861 et 1862, les troupes françaises se retrouvent seules, s’enlisent contre la guérilla que lui opposent les républicains mexicains et, finalement, quittent la région en février 1867. L’exécution de Maximilien Ier, éphémère empereur du Mexique, parachève la déroute de cette campagne ; la nouvelle vient éclabousser à son tour l’Exposition universelle hébergée à Paris.
1869-1870 > Affaire de la candidature Hohenzollern-Sigmaringen au trône d’Espagne
Un principe prévaut alors en Europe, l’interdiction que s’imposent les grandes dynasties régnantes de proposer un membre de leur famille pour un trône devenu vacant. Or, en septembre 1868, une révolution oblige la reine Isabel II d’Espagne à se réfugier en France, et la constitution de 1869 institue une monarchie parlementaire. Alors que Napoléon III est favorable à une régence jusqu’à la majorité du fils d’Isabel II âgé de 10 ans, des députés espagnols travaillent discrètement à l’été 1869 pour une candidature de Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen (1835-1905), époux depuis 1861 de l’infante Antonia de Portugal, et frère aîné de Charles, choisi en 1866 par les Roumains pour devenir leur roi (Carol Ier). Léopold refuse en mars 1870, mais l’abdication d’Isabel II en juin 1870 relance le sujet et Léopold accepte sous la pression de Bismarck.
3 juillet 1870 > Officialisation de la candidature Hohenzollern-Sigmaringen. Léopold doit être élu par les cortès le 20 juillet. C’est la stupeur en Europe, et surtout pour la France qui pensait cette option définitivement écartée. Le roi de Prusse Guillaume Ier garde le silence et ne marque aucune désapprobation.
Un pouvoir français sous pression
6 juillet > Interpellé par les chambres, le ministre des Affaires étrangères nommé le 15 mai, le duc Agénor de Gramont (1819-1880), est amené à tenir des propos fermes, voire belliqueux : « nous saurions remplir notre devoir, sans hésitation et sans faiblesse. »
Napoléon III et le ministre des Affaires étrangères chargent l’ambassadeur de France à Berlin, le comte Vincent Benedetti (1817-1900), de rencontrer le roi de Prusse dans la ville d’eau Bad Ems (site de la ville), afin de demander au monarque d’affirmer une position franche et des garanties contre cette candidature. Les audiences des 9 et 11 juillet ne donnent rien. La Russie, l’Autriche, l’Italie, la Grande-Bretagne tentent d’amener une conciliation.
12 juillet > Retrait de Léopold Hohenzollern-Sigmaringen. La France tient toujours à obtenir du roi de Prusse des garanties pour l’avenir.
13 juillet > Guillaume Ier approuve la renonciation mais refuse toujours de donner des garanties ; il envoie une dépêche à Bismarck dans la soirée. Ce dernier, qui dîne en compagnie du chef du Grand État-Major général de l’Armée prussienne Helmuth Karl Bernhard, comte von Molkte (1800-1891), manipule le texte. Bismarck construit pour l’opinion publique prussienne le récit d’une incorrection de l’ambassadeur de France à l’égard du roi de Prusse et rend l’affaire publique par des éditions spéciales dans la presse et des affiches dans Berlin. Il fait également envoyer ce récit tronqué auprès de tous les ambassadeurs prussiens à l’étranger pour faire connaître cet incident protocolaire revu et corrigé auprès des autres autorités européennes. L’idée du chancelier confédéral est d’humilier la France et de l’amener à déclarer la guerre. ► En savoir + sur la dépêche d’Ems
14 juillet > une journée décisive marquée par une précipitation vers la guerre
- Matin du 14 juillet > La nouvelle de la publication de la dépêche d’Ems parvient en France. Le Conseil des ministres est réuni au palais des Tuileries vers midi autour de Napoléon III. Le ministre de la Guerre et maréchal Edmond Le Bœuf (1809-1888), épaulé par le ministre des Affaires étrangères Gramont, pense que la Prusse est déjà en train de mobiliser ses troupes. L’Empereur se range à l’avis de proposer un décret pour voter les crédits militaires. Au fur et à mesure de la séance, le Conseil devient plutôt favorable à l’apaisement, même si l’appel des réservistes est décidé.
- Après-midi du 14 juillet > Les deux camps, pro- et anti-guerre, continuent de s’affronter, mais les encouragements à l’apaisement des pays européens font pencher la balance pour l’organisation d’un congrès européen, idée à laquelle Gramont se range. Pendant ce temps, les missives britanniques appellent à la retenue.
- Au soir du 14 juillet > Un nouveau Conseil des ministres est réuni, en présence de l’impératrice Eugénie (1826-1920) qui ne participe pas. Le Conseil prend connaissance du développement de l’affaire dans l’opinion publique, tant prussienne que française, qui appelle à la guerre (on crie à Paris : « À Berlin ! »). Cet état d’esprit des populations et l’infatuation des militaires qui conseillent Napoléon III conduisent à une nouvelle lecture de la dépêche. L’opinion des ministres bascule en faveur de la guerre. C’est dans un cadre ministériel que la décision est prise, hors champ diplomatique.
- Vers 22h-23h, Bismarck s’entretient avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne en Prusse. Il fait savoir qu’il exige des réparations morales de la part de la France pour le comportement de Benedetti vis-à-vis du Roi.
15 juillet > Le Corps législatif vote les crédits de guerre en quatre votes complémentaires. Une grande majorité des parlementaires (dont 32 républicains) est pour ; tandis qu’Adolphe Thiers (1797-1877) vote non, estimant que cette guerre est une pure folie, Léon Gambetta (1838-1882) et Jules Ferry (1832-1893) s’abstiennent. « L’appareil diplomatique est débranché » (Yves Bruley) : les militaires français précipitent l’action sans qu’il y ait conciliation d’alliance avec l’Autriche et l’Italie qui ne peuvent s’engager que début septembre (et veulent obtenir leurs garanties territoriales entre-temps). Paris, Vienne et Florence ne parviennent pas à s’entendre dans le peu de jours qui interviennent avant le 19 juillet, notamment sur le statut de la ville de Rome et des États pontificaux.
19 juillet > La France déclare la guerre à la Prusse, Napoléon III prend la tête du commandement des armées, le maréchal Le Bœuf en est le major-général (l’intérim du ministère de la Guerre est assuré par le vicomte Pierre-Charles Dejean [1807-1872]). Si les alliances que peut espérer la France sont loin d’être finalisées, du côté prussien en revanche, une garantie a été obtenue le 2 juin, auprès du Tsar Alexandre II (1818-1881) : le monarque russe a secrètement promis de soutenir la Prusse si l’Autriche soutient la France dans un conflit armé.
Les jours suivants sont consacrés à la mobilisation et au conditionnement de la population à l’idée des combats imminents : Napoléon III prépare la proclamation qu’il fera au peuple français le 23 juillet avant de quitter Paris le 28 et se rendre sur le front, à l’Est.
Irène Delage et Marie de Bruchard, février 2020
SOURCES
• France Allemagne(s) 1870-1871. La guerre, la Commune, les mémoires, Paris, Gallimard / Musée de l’Armée, 2017, 303 p.
• L’âge industriel 1854-1871. Guerre de Crimée, guerre de Sécession, guerres de l’unité allemande, Brian Holden Reid, Paris, Autrement, coll. Atlas des guerres, 2001, 224 p.
• La guerre de 1870, François Roth, Paris, Fayard, 1990, 778 p.
• Dictionnaire de l’Europe. États d’hier et d’aujourd’hui, Yves Tissier, Paris, Vuibert, 2002, 703 p.
► Lire la suite : 2 : Du début de la guerre à la chute du Second Empire.